Les Faunes entre Hytale et Mythologie
L’omniprésence des faunes dans Hytale
Vous vous baladez en pleine nature lorsque tout à coup vous apercevez une étrange silhouette. Elle se confond parmi les arbres. Une sorte de spectre, un brouillard semblable. Divinité de la nature, l’être lance sur vous une charge d’animaux. Le faune vous a vu. Dans Hytale, cette « divinité champêtre représentée avec des cornes, des pieds de chèvre et des oreilles pointues » (larousse.fr) a pour symbole des arcs de cercle qui s’entre-croisent. Un symbole omniprésent (illustration n°2). Du logo aux blocs et donjons, ce symbolisme offre une profondeur inquiétante à la nature. Quelque chose de sous-jacent, de mystérieux. Les faunes sont là. Sans pouvoir les voir. Si vous les apercevez, soyez en certain que c’est la mort ou la folie qui vous est destinée…
Des potentiels pieds de chèvre (1) : de Pan à Faunus
Les faunes sont des êtres de la nature, pourrait-on dire, gardiens de la forêt. Normalement mi-bouc mi-humain, l’être du concept art nous faisait plus penser à un cerf. Mais parce que son nom attribué est « faune », nous devions logiquement commencer par eux – à moins qu’il n’y ait aucune correspondance ! Plus complexe encore, lorsque nous nous attardons plus longuement sur leur mythologie, plusieurs noms se croisent entre satyres/Pan, faunes/Faunus, sylvains/Sylvanus.
Figure commune des histoires tel Narnia ou le Labyrinthe de Pan, satyres et faunes ont pour origine la divinité grecque : Pan. Dieu protecteur des bergers il est lié à la symbolique de la foule, des troupeaux. Et de ses cornes et pattes de bouc, est-il nécessaire de rajouter que l’instrument de prédilection de ce dieu musicien et danseur est la flûte de pan ?
Avec le temps associé à Pan, les dieux romains Faunus et Sylvanus sont des équivalents. Des dieux protecteurs des nomades et sédentaires, cultures et élevages. Toujours autour des troupeaux donc. Et qui dit protéger le troupeau, dit le protéger des prédateurs : les loups ! Ainsi, Faunus – qui a donc plus tard donné les croyances autour des faunes – est aussi nommé Lupercus. Vous noterez d’ailleurs la présence de loups sur le concept art !
Plus généralement, Faunus (ou sa femme Fauna) est une divinité de la fertilité printanière que ce soit au niveau des bêtes, du sol ou même des femmes. À ce titre, on raconte les lupercales comme une étrange festivité pour éloigner les loups et « rendre fertile » les femmes. Elle se fêtait le 15 Février. N’y voyez aucun lien avec la Saint-Valentin. Enfin, espérons… Car Faunus est loin d’être un dieu très lumineux. Nous y reviendrons en fin d’article.
De majestueux bois (2) dominant la forêt : Cernunnos
Bon c’est bien joli le nom de faune, mais pour nous ce ne sont pas des cornes de chèvre que l’on voit mais bien des bois de cerf ! Derrière ces êtres se cacherait-il un esprit de la forêt, tel le dieu cornu des gaulois ? Cernunnos est un dieu-cerf de la forêt. Une figure majeure du panthéon celtique et pourtant si inconnue.
On parle ici et là d’un dieu guérisseur et protecteur incarnant l’idée de cycle, de mort et de vie. Des ramassis de suppositions. Les bois sont toutefois une symbolique commune pour représenter l’idée de cycle de vie, de régénération, car ils tombent chaque année. Une mue. Tel le serpent qui est d’ailleurs un des attributs de Cernunnos.
À moins que derrière ces êtres se cache non pas ce dieu gaulois mais la déesse grecque Gaïa, déesse lumineuse de la nature d’Hytale ! D’ailleurs si on regarde bien le masque en bois de la créature, on pourrait imaginer l’arbre un cinq branches signe de Gaïa. On devrait également se demander si les bois font partie du masque par exemple… Dans tous les cas quelque chose de sous-jacent se cache : une mue, une bête, un dieu, un monstre, un diable ?
Les Faunes : une énergie incertaine (3)
En effet, le diable à cornes et pieds de sabot symbolise typiquement toutes ces créatures et curieuses divinités de la nature. Une vision duelle des choses. D’une part le Bien c’est l’humanité civilisée et cultivée. D’autre part le Mal c’est la nature sauvage, le caché, les envies, les pulsions, la sexualité. Et voilà là des comportements spécifiques au dieu Pan ou Faunus. Une sexualité débridée qui est par exemple illustrée par Disney dans Hercule. Pensez au satyre courant après les femmes. Ou encore l’espièglerie de Peter Pan et la brutalité de la jeunesse (et des pulsions enfantines). Bah oui l’enfant n’est pas civilisé, il faut lui dicter les bonnes conduites (selon cette vision des choses) !
Les petites « bulles bleues » de l’épée ci-contre sont retrouvées autour de notre créature (3). Elles pourraient symboliser le caché, l’ancien, l’effet d’une rune ou quelque chose d’inconscient… Liés aux cauchemars et aux rêves, dont ce qui est inconscient et refoulé, les faunes désignent le sous-jacent. Le caché, les pulsions jusqu’aux fantasmes et plaisirs charnels comme évoqués ici et là dans la littérature (Wanlin, 2017). L’idée de rêves. Le dieu Faunus était considéré comme un prophète qui, le soir venu et en pleine forêt, contait ses oracles par des bruits effrayants. Cela nous fait penser aux « chants des arbres » esquisser par Hytale sur le lore des kweebecs…
Les Faunes : des créatures hybrides
Pour clore ce petit aperçu, que ces créatures soient sous les traits de Faunus ou de Cernunnos, ce sont tous des êtres mi-humain, mi-animal. Une part civilisée ayant des connaissances sur son monde et une part animale sauvage et archaïque. Quelque chose qui tangue. D’incertain. L’hybridité « nous suggère que l’homme est changeant, incertain, mêlé, impur, voire inquiétant. » (Wanlin, 2017)
Ainsi, cette part hybride peut d’un côté nous faire penser à la décadence, à la fin de l’humanité, où ces mi-hommes mi-animaux nous envahiront telle La Planète des singes. De l’autre, à l’inverse, elle peut également nous faire penser au progrès. Une créature bâtarde entre le bas monde et les dieux est un bon intermédiaire entre la parole des dieux et celle de la nature. À coup sûr, nous – en tant que joueur – aurons un rôle à jouer, pour faire pencher la balance de l’incertitude…